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« Assassins sans frontières, enquête sur le régime de Kagame » : le cynisme de Kagame mis à nu par la journaliste Michela Wrong

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C’est un livre qui fait beaucoup de bruit outre-Méditerranée. La journaliste et auteure Michela Wrong vient de publier un ouvrage de référence sur le Front Patriotique Rwandais (FPR) de Paul Kagame qui s’est juché au sommet de la principauté militaire en place à Kigali depuis 1994 et les crimes dont il est accusé. La version anglaise du livre est intitulée Do not disturb. Comment l’ancienne rébellion a-t-elle évolué ? Michela Wrong a été interviewée par notre consœur Sonia Rolley de RFI.


RFI : Pourquoi avoir choisi de faire de l’assassinat de Patrick Karegeya le centre de votre livre ?

Michela Wrong : Je me rappelle le jour où j’ai entendu les nouvelles autour de l’assassinat de Patrick Karegeya. Je pense que pour moi, c’est comme pour tout le monde, c’est un grand choc. Je me souviens très bien – quand j’étais plus jeune journaliste, que je voyageais au Rwanda dans les années qui ont suivi le génocide – Patrick Karegeya était le monsieur qui venait rencontrer tous les journalistes, qui expliquait ce que faisait le FPR… C’était un champion pour Paul Kagame. Il était loyal, tout le monde savait qu’il était son propre ami. Paul Kagame, qui l’a tué et qu’il connaît depuis l’école, quand ils sont de jeunes enfants… C’est vraiment spectaculaire comme événement ! Très choquant !

RFI : Après avoir fait les recherches pour votre livre, que pouvez-vous nous dire sur l’évolution de cette rébellion, le Front patriotique rwandais ?


Michela Wrong : Je pense que c’est un mouvement qui a beaucoup changé. C’étaient des jeunes hommes. Ils étaient idéalistes, ils voulaient prendre le pouvoir… Mais ils avaient des idées, aussi : implanter la démocratie, de réconciliation ethnique avec les Hutus…

RFI : Maintenant, le FPR est un mouvement qui a fait verser beaucoup de sang. Il a fait verser beaucoup de sang hutu et maintenant, il fait verser aussi du sang tutsi, parce que les gens qui sont ciblés ce sont surtout les anciens dirigeants tutsis, proches de Kagame, parce que ce sont ces gens-là qui font peur. Ce sont des gens comme le général Kayumba Nyamwasa, Patrick Karegeya… Kagame a peur de ces gens-là ! Beaucoup plus que des Hutus, malgré le fait qu’il parle toujours du FDLR.

Michela Wrong : Ces gens-là y voient un mouvement qu’ils ne reconnaissent plus. Un mouvement qui est très répressif, qui est absolument déterminé à retenir le pouvoir et qui est aussi en train de faire beaucoup d’argent, parce que tous les minéraux du Congo de l’Est, c’est à travers le Rwanda qu’ils passent. Ce n’est plus seulement un mouvement militaire ou un mouvement politique, c’est aussi un business et ils veulent rester là où ils sont, parce qu’ils font beaucoup d’argent.

RFI : Dans votre livre, vous évoquez également l’assassinat de Seth Sendashonga, qui avait été ministre de l’Intérieur après le génocide et qui s’était retourné contre le FPR, un mouvement dont il faisait partie. En quoi cet assassinat à l’extérieur du pays marque également un tournant pour cette rébellion du FPR ?


Michela Wrong : J’ai rencontré Seth Sendashonga à deux reprises. Une fois à Kigali, quand il venait de démissionner du gouvernement. La seconde fois, c’est à Nairobi, quand il a donné une conférence de presse dans laquelle il a accusé son ancien parti – le FPR – d’avoir fait des centaines de milliers de morts contre les Hutus, au Rwanda. J’ai entendu parler de tueries, de quelques atrocités… Il y a eu le rapport qui parlait de tout cela, mais à ce niveau-là, c’était un choc et j’ai eu des difficultés à y croire, comme beaucoup de journalistes, d’ailleurs. Pas longtemps après, il a été tué.

RFI : C’est un moment important dans l’histoire du FPR, parce que je pense que les journalistes, les diplomates, les gens qui l’avaient beaucoup admiré, après cet assassinat, se sont dit que c’est très impitoyable. C’est très important. Je pense qu’après, cette politique d’élimination est devenue vraiment quelque chose de très important dans le FPR. L’assassinat de Seth, c’était la première fois que l’on voyait cela.

RFI : À un moment, vous écrivez dans votre livre – c’est un observateur étranger qui vous le dit – « Paul Kagame fait, simplement parce que Paul Kagame peut le faire ».

Michela Wrong : Oui, je pense que cela a été la même histoire avec Mobutu, avec Kadhafi, avec Saddam Hussein, car ils sont entourés par les flatteurs. Et le problème avec Kagame, c’est avec ses amitiés aux États-Unis, en Grande-Bretagne… On l’a tellement flatté… Parce qu’il a reconstruit le pays…

Le fait qu’il y avait des élections truquées, le fait qu’il y avait des abus vraiment très sévères à l’intérieur du pays, mais aussi à l’extérieur, les amis à l’ouest n’ont pas vraiment dit grand-chose, alors Kagame a toujours été encouragé et croit qu’il peut faire ce qu’il veut. Je pense que c’est pour cela que l’on voit un comportement qui devient de plus en plus autoritaire avec les années qui passent.

Interview réalisée par Sonya Rolley

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